Après l’avoir longtemps attendu, Abraham et sa femme Sarah ont eu enfin un fils, Isaac, conformément à la promesse de Dieu qu'Abraham aurait un héritier (Genèse 15), promesse que sa femme Sarah lui donnerait un fils (Genèse 18, 10-14). La promesse de Dieu a été encore plus loin : elle est celle d’une nombreuse descendance.
Ce texte extrêmement connu et considéré comme un des sommets théologiques de la Bible, est ordinairement appelé le sacrifice d’Isaac, même si certains préfèrent le nommer sacrifice d’Abraham.
La question que nous nous poserons est : comment lire un texte qui peut être choquant pour des mentalités du XXIe siècle ?
Holocauste : c'est le sacrifice d’un animal qui doit être, sur l’autel, tout entier consumé par le feu, après avoir été égorgé s’il est de gros ou petit bétail : veau ou taureau, mouton ou chèvre (dans ce cas-là il est âgé d’un an). Moins couramment semble-t-il, l’holocauste pouvait être aussi le sacrifice d’une tourterelle ou d’un pigeon. Comme il s’agit d’un présent offert à Dieu, la victime devait être sans défaut, prise parmi les jeunes mâles.
Le rituel de l’holocauste est décrit au livre du Lévitique, au chapitre 1. La victime brûlait sur du bois disposé sur l’autel des holocaustesL'ange : les anges sont les messagers de Dieu ; ils ont une fonction d'intermédiaire entre Dieu et les hommes, étant chargés de faire parvenir aux hommes ce qui vient de Dieu. Bien souvent, leur langage montre qu'ils sont une manifestation sensible de Dieu, par exemple ici au v. 12 : "tu ne m'as pas refusé ton fils". Le fait que la parole de Dieu soit transmise par un ange est aussi une façon de ne pas faire intervenir trop facilement Dieu dans le monde des êtres humains.
Spontanément, ce texte nous choque : si nous en restons à la première impression, Dieu peut nous sembler sadique et Abraham nous paraître inhumain. Il serait dommage de s'arrêter là. Plus un texte nous rebute, plus nous devons faire attention à la façon dont nous le lisons, c'est-à-dire mettre de côté nos réserves et nous interroger sur ce qu'il veut vraiment dire. Pour cela, notons d'abord les répétitions, les silences, tout ce qui nous paraît curieux, nous demandant quel sens on peut leur donner.
- Répétitions :
- "me voici" revient plusieurs fois : au verset 1, en réponse à Dieu, au v. 7, en réponse à Isaac, au v. 11, de nouveau au Seigneur. Cela signifie que le texte veut manifester la disponibilité d'Abraham à ceux qui l'interpellent, et en tout premier lieu à Dieu. Dans le même sens, les appels du Seigneur aux v. 1 et 11, ainsi que l'interpellation d'Isaac au v. 7 contribuent à montrer la disponibilité d'Abraham. Cela nous permet de remarquer que toutes les interventions se focalisent sur Abraham et sur sa disponibilité.
- Autre élément qui revient : l'initiative de Dieu : au tout début, "Dieu mit Abraham à l'épreuve", et au versets 15 à 18, une longue intervention de l'ange du Seigneur promet de bénir Abraham.
- Les silences : il n'est rien dit des états d'âme des personnages : par exemple, il n'est rien dit sur ce que peut éprouver Isaac, notamment quand Abraham le lie sur l'autel, d'ailleurs, au dernier verset, on ne note même plus la présence d'Isaac au retour. Autre silence "assourdissant": celui des serviteurs. En fait, cela nous aide à percevoir que tout le texte se focalise sur Abraham et sur sa relation à Dieu.
- Des notations curieuses :
- au v. 1 : "Dieu mit Abraham à l'épreuve" indique au lecteur qu'il ne faut pas considérer le texte comme l'exigence d'un Dieu sanguinaire : les sacrifices d'enfants étaient pratiqués autour d'Israël, mais la Bible ne cesse de les dénoncer. Ici aussi, en parlant dès le début d'un test, Genèse 22 continue à dire que le sacrifice du premier-né n'est pas à prendre au sérieux.
- Il paraît un peu étrange que ce qu'annonce Abraham, chaque fois qu'il est interrogé, se réalise exactement par la suite : ainsi, au v. 5, aux serviteurs : "nous reviendrons vers vous", au v. 8 à son fils : "Dieu pourvoira" à l'holocauste. En définitive, pour le croyant qui lit le texte, c'est l'abandon complet d'Abraham au Seigneur qui est mise en valeur par ces notations.
En récapitulant tous ces éléments, on voit qu'ils concourent à indiquer au lecteur que l'unique sujet du texte est la relation entre Dieu et Abraham. Le lecteur, auquel le texte a indiqué dès le début qu'il ne s'agit pas de sacrifice humain mais de mettre Abraham à l'épreuve, doit avoir l'esprit assez libre pour donner leur importance respective aux divers éléments de l'ensemble. Dans cette perspective, la très grande sobriété du récit où aucune notation n'est de l'ordre du bavardage n'y laisse plus demeurer que l'essentiel.
Tout ceci nous fait pressentir la profondeur théologique du texte, c'est-à-dire ce qu'il nous dit sur Dieu et sur l'homme, et peut-être alors pouvons-nous nous poser une question :S'il est quand même vrai que Genèse 22 parle de sacrifice, de quel sacrifice s'agit-il ?