Nous lisons le dernier discours de l'Evangile de Matthieu, juste avant que Jésus ne vive sa passion et sa résurrection : le discours sur la fin des temps. L'atmosphère est devenue lourde et Jésus vient de prononcer tout un discours contre les scribes - ces lettrés qui pouvaient interpréter la Loi - et les pharisiens - juifs pieux que leur souci d'observer jusqu'au bout les prescriptions de la loi de Moïse, la loi juive, pouvait rendre parfois d'un légalisme desséché. Jésus leur a reproché d'être tellement obnubilés par la lettre de la loi qu'ils en venaient à en négliger l'esprit.Au début du chapitre 24, dans un pressentiment de l'avenir, Jésus annonce la destruction du Temple de Jérusalem - que les Romains détruiront effectivement 40 ans après, en 70. Pour un juif, familier des livres prophétiques et notamment du livre de Daniel, une telle catastrophe ne peut qu'appartenir à la série de désastres qui précèderont la fin des temps et la venue d'un "Fils d'Homme" auquel tout pouvoir sera remis : "Son empire est un empire éternel qui ne passera point et son royaume ne sera pas détruit" (Daniel, 7,14). C'est alors que les disciples s'approchent et demandent à Jésus : Dis-nous quand cela arrivera, dis-nous quel sera le signe de ta venue et de la fin du monde.
Les deux chapitres que nous lisons vont faire une description assez terrifiante de la fin des temps. Nous nous demanderons comment lire un texte pareil.
Si je me dis que nous sommes à la fin des temps...
- ...puisque guerres et catastrophes s'accumulent (24,4-7), je dois me rappeler que tout au long de l'histoire de l'Eglise, des hommes ou des femmes ont cru reconnaître ce moment dans ce qu'ils vivaient, notamment lors des grandes périodes de persécution.
- ...puisqu'il y a des personnes qui proclament être le messie (24,5 et 23), j'ai à me souvenir que déjà quelques années après la mort de Jésus, on en trouvait...
Certains pourraient dire que ce discours sur l'avènement du Fils de l'Homme nous montre combien Dieu est terrible puisque de deux personnes, une seule sera épargnée, l'autre périssant lamentablement (24,40), puisque le mauvais serviteur sera impitoyablement châtié par le maître à son retour (24,45-51), puisque l'histoire des "dix vierges" annonce que la futilité ou l'insouciance seront terriblement punis (25,1-12), puisque l'histoire des talents montre que même l'apparente honnêteté stricte ne suffira pas à échapper au jugement (25,14-30), puisque le Jugement dernier condamne sans appel celui qui n'a pas eu suffisamment souci des autres (25,31-46).Mais alors, il est impossible d'expliquer que...
Tout ceci nous dit que toutes les interprétations qui disent que Dieu est un juge terrible et à redouter ne sont pas compatibles avec la vie, les paroles et l'enseignement de Jésus.
- ...Jésus ait dit qu'il était venu pour que les hommes aient la vie en abondance (Evangile selon Jean 10,10)
- ...l'Evangile de Matthieu enseigne à pardonner presque à l'infini (chapitre 18)
- ...Jésus ait refusé de condamner la femme adultère (Jean chapitre 8)
- ...selon Jésus, le grand commandement soit d'aimer Dieu et d'aimer son prochain comme soi-même (Matthieu chap. 23,39)
- ...Jésus, crucifié, ait demandé au Père de pardonner à ses bourreaux (Evangile de Luc, chap. 23,34)
Puisque toute la vie de Jésus montre qu'il n'est pas venu condamner, reprenons chacune des petites histoires dont il se sert pour illustrer son propos en nous demandant ce qui est sous-jacent à l'exigence qu'elle met en scène.
- La parabole des talents nous montre un maître qui attend le maximum de son serviteur, mais il est tout aussi satisfait de celui qui parvient à produire 2 talents que de celui qui en produit 5. Quant à celui qui n'en a gagné aucun, Jésus prend soin de dire que le maître le juge conformément à ses attentes : il disait son maître dur, il est jugé durement...
Finalement, on pourrait dire que ce que lui reproche son maître, c'est avant tout de ne rien attendre de bon de lui. Au moment où Jésus éprouve que l'amour qu'il porte aux hommes n'est pas reconnu, cela prend une force particulière... et quand nous attendons de Dieu le pire, nous tombons bien sous le coup de ce reproche.- La parabole des vierges - un peu extravagante pour nous - nous dépeint l'attente de la venue de l'époux pour les noces. Il s'agit donc de la perspective de réjouissances. Toutes s'endorment dans cette attente et ce n'est donc reproché à personne. Mais les insensées ne seront plus là pour l'ouverture des réjouissances puisqu'elles sont parties à la recherche de l'huile... A-t-on idée de ne pas être disponible à ce qui est joie ? Qu'est-ce qui était le plus important : avoir de l'huile ou accueillir l'époux ?
- Quant à l'histoire du serviteur fidèle et à celle du Jugement dernier, elles ont un point commun : toutes deux insistent sur l'attention aux autres. Le serviteur est chargé par le maître de veiller sur d'autres serviteurs en leur fournissant tout le nécessaire, le jugement dernier proclame que Dieu s'identifie à tous les pauvres auxquels nous avons à faire. L'exigence ainsi en jeu est celle de l'amour des autres.
A travers tout cela, ce que nous dit Jésus, c'est la terrible urgence de l'amour aux yeux de Dieu. Toutes les illustrations choisies par Jésus disent que nous ne serons "jugés" que sur l'amour. Ce que Dieu reproche à l'homme, c'est toujours de ne pas aimer comme lui, de ne pas être prêt à recevoir l'amour, et d'abord celui de Dieu. Alors oui, le texte parle de jugement. Mais ce qui frappe dans le texte, c'est combien facilement les personnes condamnées se sont en fait condamnées elles-mêmes : l'amour peut-il condamner ?Nous pouvons alors constater ici combien les différentes parties du discours s'éclairent l'une l'autre et permettent de voir où est l'essentiel du texte. Le prendre au pied de la lettre est plus qu'une erreur si cela entraîne de croire que Dieu veut nous condamner : selon Jésus, c'est là l'offense même à Dieu.