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Livre de la Genèse
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Le Livre des Origines : La Tour de Babel
Genèse 11,1-32

C'est fini : nous refermons ici le Livre des origines. L'homme et la femme ont été créés, ils ont éprouvé leur frargilité et, simultanément, la présence miséricordieuse de Dieu au coeur même de cette fragilité.

Dans cette lecture apparaissent des constantes : la passion de la diversité que manifeste Dieu, sa sollicitude pour toutes les espèces : Dieu n'aime jamais en général, mais toujours au singulier : c'est moi qui suis aimé de Dieu... comme tous mes frères.

Cet amour de la diversité se conjugue avec un universalisme : Gn 1-11 essaie de rendre compte de l'origine de tous les hommes de la terre, affirmant ainsi dès le début qu'aucun n'est étranger au projet créateur de Dieu et ne peut être laissé de côté.

111  Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots. 2  Comme ils étaient partis de l'orient, ils trouvèrent une plaine au pays de Schinear, et ils y habitèrent. 3  Ils se dirent l'un à l'autre: Allons! faisons des briques, et cuisons-les au feu. Et la brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de ciment. 4  Ils dirent encore: Allons! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre.

5  Le SEIGNEUR descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes. 6  Et le SEIGNEUR dit:

Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et c'est là ce qu'ils ont entrepris; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce qu'ils auraient projeté. 7  Allons! descendons, et là confondons leur langage, afin qu'ils n'entendent plus la langue, les uns des autres.
8  Et le SEIGNEUR les dispersa loin de là sur la face de toute la terre; et ils cessèrent de bâtir la ville.

Tour de Babel (sur parchemin, Livre des Heures)A la loupe Il n’est question que de toute la terre et tous ne forment qu’un peuple. Il est donc clair que le sujet réel ici n’est pas l’histoire d’un homme mais celle de l’humanité. Mais pourquoi cet épisode : s'il s'agit de la Parole de Dieu, cela signifie qu’il y a un ‘message’, lequel ?
Très longtemps, on n’a vu là qu’une facette du péché de l’humanité constamment rappelé depuis Gn 3 : le récit de l’orgueil fou d’une génération qui veut s’élever jusqu’au ciel — le lieu de Dieu — elle en recevra son châtiment ! Mais est-ce bien le sujet ?

  • Le premier verset dit que la terre entière se servait de la même langue et des mêmes mots, et le dernier reprend cette histoire de langue : si le thème traverse ainsi le texte, c’est l’indice de son importance : peut-être alors nous trouvons-nous ici devant une étiologie de la naissance des langues.
  • Le projet du peuple est bien de construire une ville et une tour pour se faire un nom, mais une finalité y est ajoutée : afin de ne pas être dispersés sur toute la surface de la terre.

Alors ? Elémentaire ! Ici, le projet des hommes, d'un orgueil fou, est de se faire un nom, mais, fondamentalement, la crainte en jeu ici est celle de la dispersion : on comprend alors pourquoi la Tradition juive appelle ce texte : la génération de la division ! Face à cette crainte, Dieu agit en faveur de la dispersion des hommes sur toute la surface de la terre. Peut-être devrions-nous nous souvenir que, déjà au 1er chapitre du Livre des Origines, Dieu créait en séparant : la Création est diversité et non uniformité.

9  C'est pourquoi on l'appela du nom de Babel, car c'est là que le SEIGNEUR confondit le langage de toute la terre, et c'est de là que le SEIGNEUR les dispersa sur la face de toute la terre.

Babel

La ville, on lui donna « le nom de Babel car c’est là que le Seigneur brouilla la langue de toute la terre ». Nous reconnaissons-là une étiologie : le désir de trouver l’explication d’un phénomène ou d’une réalité. Ici : pourquoi Babylone en est-elle venue à porter ce nom ? Pour ses habitants, l’orgueilleuse Babylone était la porte de Dieu. Ici, les rédacteurs semblent prendre un malin plaisir à jouer sur l’assonance entre le nom babel et le verbe balal : brouiller, mélanger, confondre. Sans doute est-ce moins flatteur...

10  Voici la postérité de Sem.

Sem, âgé de cent ans, engendra Arpacschad, deux ans après le déluge. 11  Sem vécut, après la naissance d'Arpacschad, cinq cents ans; et il engendra des fils et des filles.

12  Arpacschad, âgé de trente-cinq ans, engendra Schélach. 13  Arpacschad vécut, après la naissance de Schélach, quatre cent trois ans; et il engendra des fils et des filles.

14  Schélach, âgé de trente ans, engendra Héber. 15  Schélach vécut, après la naissance d'Héber, quatre cent trois ans; et il engendra des fils et des filles.

16  Héber, âgé de trente-quatre ans, engendra Péleg. 17  Héber vécut, après la naissance de Péleg, quatre cent trente ans; et il engendra des fils et des filles.

18  Péleg, âgé de trente ans, engendra Rehu. 19  Péleg vécut, après la naissance de Rehu, deux cent neuf ans; et il engendra des fils et des filles.

20  Rehu, âgé de trente-deux ans, engendra Serug. 21  Rehu vécut, après la naissance de Serug, deux cent sept ans; et il engendra des fils et des filles.

22  Serug, âgé de trente ans, engendra Nachor. 23  Serug vécut, après la naissance de Nachor, deux cents ans; et il engendra des fils et des filles.

24  Nachor, âgé de vingt-neuf ans, engendra Térach. 25  Nachor vécut, après la naissance de Térach, cent dix-neuf ans; et il engendra des fils et des filles.

26  Térach, âgé de soixante-dix ans, engendra Abram, Nachor et Haran.

Peter Bruegel, La tour de Babel

Dans cette dernière généalogie du Livre des origines, la durée de vie des descendants de Sem se rapproche peu à peu de celle des hommes, permettant de faire le lien avec le cycle d'Abraham qui va commence : on quitte ainsi peu à peu la préhistoire de l'humanité pour entrer dans l'histoire du salut.

De même, alors que l'épisode de la tour de Bable ne présente que l'humanité en général, voici que la généalogie va se focaliser sur une famille précise : celle de Térach, la montrant en train d'émigrer vers un lieu bien précis, apportant des précisions sur ce qu'elle vit : tout est prêt pour commencer son histoire au prochain chapitre.

S'il est difficile au premier regard de voir un élément saillant dans ce chapitre, l'étude attentive révèle donc pourtant le soin apporté à sa composition. Un tel soin doit toujours alerter le lecteur sur l'importance de rechercher ce que les auteurs veulent vraiment dire. Il s'agit de dépasser le côté pittoresque ou déroutant de l'aventure relatée...

27  Voici la postérité de Térach.
Térach engendra Abram, Nachor et Haran. Haran engendra Lot. 28  Et Haran mourut en présence de Térach, son père, au pays de sa naissance, à Ur en Chaldée. - 29  Abram et Nachor prirent des femmes: le nom de la femme d'Abram était Saraï, et le nom de la femme de Nachor était Milca, fille d'Haran, père de Milca et père de Jisca. 30  Saraï était stérile: elle n'avait point d'enfants.

La tour de Babel, détail : ... dans les cieux La dernière généalogie du Livre des origines présente Abram, celui dont le Seigneur changera plus tard le nom en Abraham. Elle fait donc le lien avec le début de l'histoire du salut qui commencera au prochain chapitre.
Abram a son origine à Ur en Chaldée et Gn 11 le présente émigrant, avec son père Térach jusqu'à Haran, au nord de la Mésopotamie (Turquie actuelle).
Remarquons combien tout le début du livre de la Genèse est centré, contrairement à ce qu'on pourrait croire au premier abord, non pas dans ce qui deviendra la terre d'Israël, mais en Mésopotamie, dans l'Irak actuelle.

31  Térach prit Abram, son fils, et Lot, fils d'Haran, fils de son fils, et Saraï, sa belle-fille, femme d'Abram, son fils. Ils sortirent ensemble d'Ur en Chaldée, pour aller au pays de Canaan. Ils vinrent jusqu'à Haran, et ils y habitèrent. 32  Les jours de Térach furent de deux cent cinq ans; et Térach mourut à Haran.

Térach : comme Abraham ?

Juste avant Gn 12 qui marque le début du cycle d'Abraham, nous faisons connaissance avec son père, Térach. Accompagné de ses enfants et de leurs familles, il quitte le sud de la Mésopotamie — pour aller à Canaan — comme le fera plus tard Abraham, cette fois sur l’appel de Dieu. Mais Térach, lui, s’arrête en chemin et s’installe au nord de la Mésopotamie où il mourra.
Tèrah sera l’un des ancêtres du Christ selon la généalogie qu’en dresse l’Evangile de Luc, et il est peut-être bon de se souvenir de la mention presque bienveillante que le livre de Josué prête à Dieu à son sujet : Tèrah, père d’Abraham et père de Nahor... ils servaient d’autres dieux (Jos 24,2). Cette simple constatation est bien loin de la condamnation....


Ziggourat

Il semble bien qu'en évoquant cette tour en briques dont le sommet touche le ciel, les rédacteurs aient en tête les ziggourat de Mésopotamie. La plupart de ces gigantesques tours à étages, superpositions de terrasses de taille décroissante, furent construits sous la 3e dynastie d'Ur, au début du 3e millénaire avant JC. Encore aujourd'hui, ils nous restent mystérieux, d'autant plus qu'il n'en reste généralement que des ruines, mais on pense qu'ils étaient surmontés d'un temple et s'intégraient dans des complexes religieux plus vastes comme la ziggurat d'Ur, la mieux conservée, gigantesque avec ses 62,50x43 m.

Ziggourat de UrDans le pays plat de Mésopotamie, ces géantes à la tête dans les nuages pouvaient peut-être jouer le rôle d'une montagne, point de rencontre entre le ciel et la terre. Le nom de la plus haute, la ziggurat Etemenanki à Babylone, signifie : la maison de la fondation du ciel et de la terre.

Leur construction alliait, autour d'un cœur en briques séchées au soleil, un revêtement protecteur de briques cuites pouvant atteindre 2,50 mètres d'épaisseur ! On a émis l'hypothèse que la Ziggurat Etemenanki aurait nécessité 36 millions de briques. Si on a pu calculer que leur simple maçonnage a dû demander 94 938 jours de travail, on mesure la grande capacité logistique qu'avait alors l'administration mésopotamienne.

Décrypter le texte

Les auteurs bibliques inscrivent de nombreux ’signaux’ dans le texte lui-même.
Regarder de plus près l’épisode de la tour de Babel nous familiarise avec la façon dont ils préviennent le lecteur — ou l’auditeur — de l’articulation du texte.

DÉLIMITATION : savoir quand le texte commence et où il finit :

  • La terre entière se servait de la même langue...
  • c’est là que le Seigneur brouilla la langue de toute la terre...
Quand, au début et à la fin, l’auteur reprend les mêmes mots, l’auditeur y entend le signal sûr que ce qui était en route est en train de se terminer.

LE PROJET ET SA RÉUSSITE : quand un programme est projeté par des ‘acteurs’ du texte et qu’une action le fait réussir ou échouer, il s’agit d’un point clé : le lecteur — ou l’auditeur — y prêtera attention.

  • Faisons-nous un nom afin de ne pas être dispersés sur toute la surface de la terre.
  • C’est de là que le Seigneur dispersa les hommes sur toute la surface de la terre.

Pour réfléchir...

  • A la fin du Livre des origines, quelle impression d'ensemble ai-je envie d'en garder ?
    • que dit-il de Dieu ?
    • que dit-il de l'homme ?
  • Si je ne devais retenir que trois traits qui me paraissent caractéristiques du 'visage' de Dieu, quels seraient-ils ?

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